EPI "We're expecting" Anglais-SVT 4e

Quand je suis arrivée dans mon ancien collège il y a deux ans, on était en plein dans la réforme du collège. Et si vous en avez entendu parler (je pense aux non-profs qui se promèneraient par ici) vous avez sûrement entendu l’anagramme EPI. C'est un des points qui a fait le plus débat pendant cette réforme. Je ne me prononcerai pas là dessus, je me contenterai de faire le bilan de mon expérience des EPI, ce qui n'engage que moi. 

Il y a deux ans donc, je n'ai pas été impliquée dans les EPI, les collègues avaient fait le choix de laisser les nouveaux arrivants en dehors de ce dispositif. J'ai donc suivi de loin l'organisation et la mise en place du dispositif. Chez nous ce n'était pas si nouveau puisque étant en REP+, l'établissement avait déjà un système d'enseignements pluri-disciplinaire appelés les "pôles". Ils ont donc repris le même fonctionnement en changeant la dénomination par EPI : les élèves de 5e, 4e, et 3e ont deux heures en "barrettes" (toutes les classes d'un même niveau ont ces heures en même temps dans leur emploi du temps) par semaine consacrées aux EPI. Toutes les 6 semaines (le nombre de semaines variaient d'un niveau à l'autre), les élèves changeaient de binômes de profs et donc d'EPI. Sur ces deux heures, les profs interviennent en co-enseignement, c'est-à-dire qu'ils sont dans la même salle au même moment. 

A la fin de ma première année dans ce collège, une collègue d'anglais nous quittait. Elle animait un EPI anglais-SVT sur la reproduction avec ma collègue S. On s'entendait bien avec S. et elle m'a alors demandée si je serais intéressée pour reprendre l'EPI. Sur le coup j'ai dit oui, un peu sans réfléchir. Ensuite je me suis dit que ça ne serait pas simple puisque je n'avais pas été à l'origine du projet. Finalement, j'ai réussi à m'approprier cet EPI, à proposer des modifications et mon regard extérieur associé à l'expérience de S. nous a permis de façonner quelque chose qui nous ressemblait !

Le scénario était le suivant : les élèves par groupe constituaient une équipe de médecin. Un couple venait les consulter pour un problème de fertilité. Les élèves devaient alors passer par toutes les étapes de la recherche, au diagnostic à la proposition de solutions pour aider ce couple à avoir un enfant. Chaque cas médical attribué aux élèves était différent, ce qui permettait d'aborder divers problèmes/causes pouvant expliquer l'infertilité ainsi que divers solutions. De plus, cela permettait de varier la difficulté et d'adapter les dossiers médicaux aux capacités des élèves. 

Séance 1
L'EPI commençait par l'analyse d'une photo par les élèves pour leur faire deviner le thème par eux-mêmes. En 4e en SVT, on leur parle de la reproduction en insistant sur les moyens de contraception. L'idée de cet EPI était de montrer l'autre côté de la médaille. S. m'a demandé si je n'aurais pas un spot vidéo, un extrait de film ou de série dans lequel on parlerait de reproduction et/ou d'infertilité. Étant une grande fan de la série Grey's Anatomy, j'ai tout de suite pensé à cet extrait [Attention, je ne voudrais pas spoiler les fans en retard, il s'agit de l'épisode 5 de la saison 13].
Nous avons un peu coupé l'extrait parce qu'il est un peu long. Toujours est-il que cette entrée en la matière a bien fonctionné avec les différents groupes et qu'ils ont très vite donné du vocabulaire en anglais et trouvé le thème de notre EPI. Cette façon de démarrer l'EPI me plaisait vraiment parce qu'on entrait tout de suite dans l'anglais en apportant du lexique que les élèves ne connaissaient pas forcément (grossesse, test de grossesse, attendre un enfant...). 

A partir de là, on distribuait aux élèves des documents réexpliquant le fonctionnement des appareils reproducteurs masculins et féminins et on leur demandait d'émettre des hypothèses concernant les problèmes de fertilité du couple. Évidemment, ils devaient formuler les hypothèses en anglais. Cela nous permettait de voir le niveau de chaque groupe et de déterminer le cas médical que nous allions leur attribuer. Cette séance nous permettait aussi de reprendre les bases de la reproduction avec les élèves, les choses n'étant pas toujours claires pour eux, notamment pour les groupes que nous avons eus en début d'année et qui n'avaient pas encore travaillé sur ce thème. 

Lors de cette première séance nous donnions aussi aux élèves un document avec du vocabulaire à maîtriser pour comprendre les documents qu'ils allaient devoir étudier et être capable de formuler leurs compte-rendus en anglais. Au début on faisait un contrôle sur tout le vocabulaire en séance 2. Mais on s'est vite aperçu que ça n'avait pas tellement d'intérêt : cela représentait trop de mots d'un coup pour nos élèves qui en plus n'arrivaient pas à y trouver du sens. Les résultats étaient pour la plupart catastrophiques, et les élèves ne faisaient pas l'effort de reprendre l'apprentissage une fois le contrôle rendu. Pour les groupes suivants nous avons procédé autrement. Pour chaque séance, les élèves avaient une dizaine de mots à mémoriser. Il s'agissait des mots en lien avec ce qui serait abordé dans la séance suivante. Chaque séance commençait donc par un petit test de vocabulaire. Au vu des résultats, je pense que c'était la meilleure solution. 

Séance 2
Dès la deuxième séance chaque groupe se voyait attribuer "son" dossier médical. La deuxième séance était consacrée à la vérification des hypothèses précédemment émises afin de déterminer si le problème d'infertilité venait de l'homme, de la femme ou des deux. Il nous paraissait important lorsque les groupes étaient composés uniquement de garçons de leur donner un cas pour lequel l'homme était concerné par le problème de fertilité. En effet, pour nos élèves cette idée était difficile à accepter. Les élèves devaient comparer des documents témoins (c'est à dire des résultats d'analyse lorsqu'il n'y a pas de problème de fertilité) avec les documents concernant le couple qui leur a été attribué.

Séance 3
Lors de la séance 3, l'objectif était que les élèves réalisent un schéma pour expliquer la cause du problème de fertilité du couple. L'objectif principal de cette séance était de poursuivre le travail entamé en séance 2 et de s'assurer que les élèves visualisaient l'origine du problème. On leur distribuait différents documents en fonction de leur cas ainsi qu'un questionnaire qui avait été rempli par chaque couple pour confirmer ou infirmer les hypothèses formulées en séance 2.

Séance 4
Lors de la séance 4, nous avons voulu insister d'avantage sur les solutions possibles pour les couples faisant face à un problème de fertilité. Ma collègue S. a trouvé cette vidéo sur la PMA et la GPA en France et j'ai créé ce questionnaire pour vérifier leur compréhension. Nous avons aussi inclus des documents sur l'adoption en demandant aux élèves de comparer les conditions de l'adoption en France et au Royaume-Uni. Enfin, nous avons aussi distribué aux élèves des brochures sur le don de gamètes mâles et femelles. A chaque fois, l'objectif était d'explorer les solutions possibles et de vérifier si elles étaient adaptées au couple.

Séance 5
L'avant-dernière séance était consacrée à la législation. A travers une série de recherche sur internet, les élèves devaient vérifier si les solutions qu'ils comptaient proposer au couple étaient autorisées en France. 

Séance 6
La dernière séance était consacrée à la rédaction d'une lettre en anglais par les médecins (= les élèves) au couple pour résumer les différentes étapes de leur recherche et leur présenter leurs conclusions médicales ainsi que les solutions qu'ils proposent. Au départ, l'évaluation finale de l'EPI était une prise de parole en interaction sous la forme d'une saynète : chaque groupe se mettait en scène dans le rôle du médecin et du couple et devaient jouer une conversation dans laquelle le médecin reprenait les différents points travaillés. Je trouvais que ce type d'évaluation n'était pas en lien avec le reste de l'EPI où on travaillait principalement l'écrit (les élèves rédigeaient un petit compte rendu en anglais à chaque fin de séance) et où on n'évaluait absolument pas l'oral. C'est pourquoi j'ai proposé cette idée de lettre : les élèves restent dans leur rôle de médecins du début à la fin de l'EPI et les compte-rendus de fin de séance servent d'évaluations formatives tout au long de l'EPI. 

Evaluations
Question évaluations justement nous avions pour chaque groupe un dossier dans lequel les élèves conservaient leurs documents. Sur la page de couverture on trouvait le nom des élèves ainsi que les informations sur les patients. Sur l'arrière du dossier on trouvait un tableau avec différents critères qui étaient évalués à chaque séance (investissement, rédaction en anglais, compréhension des documents...). A la fin de l'EPI nous transformions ces observations (sous forme de + ou de -) en notes.
Afin d'évaluer la lettre qui constituait l'évaluation sommative de l'EPI, j'ai rédigé cette grille d'évaluation. Nous ne revoyions pas les élèves après avoir évalué leur production donc il ne nous était pas possible de leur donner un retour oral sur leur production. Cependant, ceux qui le souhaitaient pouvaient récupérer leur grille d'évaluation avec les commentaires.


Bilan
Je ne regrette absolument pas d'avoir dit oui à S. pour cet EPI. Ce fût une super expérience et j'ai adoré montrer aux élèves que ce que nous faisions en cours d'anglais pouvait leur resservir dans un domaine complètement différent ! Les élèves eux-mêmes ont souvent eu peur quand on leur a expliqué que nous allions faire des SVT en anglais et finalement ils ont réalisé qu'ils en étaient capables ! Le sujet traité est extrêmement important, je garde en tête des échanges très touchants avec certains élèves : les questions qu'ils posaient allaient parfois plus loin que le simple cas qui leur était attribué et on sentait que nous étions les rares personnes de leur entourage proche à pouvoir leur apporter une réponse fiable. Bien sûr, il a aussi fallu se confronter aux élèves qui, gênés, ont pris le sujet à la légère, aux rires à l'idée de prononcer les mots "pénis", "règles", "vagin". Nous avons montré que nous pouvions prononcer ces mots sans gêne et très vite, les rires se sont effacés. Je ne prétends pas que tous les élèves ayant suivi cet EPI ont retenu tout ce que nous avons tenté de leur faire passer comme message mais néanmoins, je pense qu'ils ont tous pu voir la reproduction sous un autre angle.
Je suis aussi consciente que cet EPI a été une réussite grâce au travail extraordinaire de S. Nous avons eu beaucoup de chance parce que nous avions, je crois, un fonctionnement similaire et à la fois complémentaire. J'ai beaucoup appris au contact de S. et ça a vraiment été chouette de pouvoir échanger avec elle sur les méthodes d'évaluation et sur nos pratiques ! Je n'ai malheureusement pas la chance de reconduire cet EPI avec elle cette année, mais j'aurais dit oui sans hésiter pour une deuxième année si nous en avions eu l'opportunité !

Dans mon nouvel établissement, les EPI ne sont pas mis en place, en tout cas pas de la même manière. Je ne sais pas si j'aurais à nouveau l'occasion de travailler de la sorte mais j'en suis certaine, c'est un fonctionnement enrichissant pour tous : élèves comme enseignants !


Le point de vue de S. ma collègue de SVT
Mon plus grand regret dans cette aventure c’est de ne pas avoir pu la poursuivre. Nous avions encore tellement d’idées ! La richesse de la co-intervention est inimaginable. A deux, on identifie plus rapidement les dysfonctionnements et on trouve plus facilement des idées pour remédier aux éventuels problèmes. Il y a une stimulation intellectuelle et pédagogique incroyable lorsque l’on travaille avec un enseignant d’une autre discipline.
Ce qui s’est révélé très intéressant et productif c’est qu’il y a eu plusieurs roulements dans l’année donc l’occasion de tester et de mettre en œuvre nos différents idées rapidement sans avoir à attendre un an avant de pouvoir réexpérimenter sur de nouvelles classes (par exemple, l’amélioration du travail de groupe par l’utilisation des tétra-aides ou la mise en place d’évaluations plus régulières sur un vocabulaire plus restreint). La variété des documents proposés était aussi intéressante mais j’aurais aimé qu’ils puissent travailler sur d’autres supports, par exemple, des lames microscopiques. J’avais commandé des lames de spermatozoïdes de patient atteint de tératospermie (spermatozoïdes malformés), cependant il fallait avoir un œil expert pour les repérer. J’ai donc rapidement abandonné l’idée.
La première année de mise en œuvre de cet EPI, notre infirmière, très investie dans l’établissement, était intervenue pour aider les élèves dans la compréhension des documents. Cela s’était avéré utile, surtout en début d’année, quand nous avions des classes n’ayant pas encore étudié la reproduction chez l’Homme. Malheureusement, la deuxième année, nous avons dû faire sans.
Il nous a manqué une septième séance pour reprendre les dossiers avec les élèves et leur permettre d’échanger entre les groupes afin de leur permettre de découvrir les autres cas médicaux.
Finalement, côté scientifique, les élèves ne sont pas devenus des experts en procréation médicalement assistée car ils ont travaillé sur un cas bien précis. Cependant cela ne me frustre pas bien au contraire ; ils se sont beaucoup questionnés et ont mené une vraie investigation, chose que l’on peut rarement faire de manière aussi poussée en classe.
J’ose croire, à leurs remarques et à leurs dires, qu’ils ont apprécié cet EPI et, cerise sur le gâteau, que certains ont réussi à faire tomber des barrières culturelles ou religieuses les freinant dans leur découverte des notions de reproduction chez l’être humain.

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